Un thé Pu’erh à Ucluelet (Vancouver Island, British Columbia, Canada)


La tempête s’était tue. Les vagues gigantesques du pacifique ouest avaient laissé place à un paysage de marée basse dans la brume, les silhouettes des arbres dessinaient des ombres chinoises sur l’horizon gris. Les eaux de l’océan s’étaient retirées, dégageant une rive caillouteuse traversée de courants peu profonds, parsemée d’algues géantes. Les saumons jaillissaient de l’eau vive.  Un aigle à tête blanche, posé sur la branche la plus haute d’un cèdre rouge, prit son envol. Les amples ailes brunes dessinèrent des cercles dans le ciel de la fin du jour.


Ucluelet, Ile de Vancouver, 2017 ©levaporettoblogue.blogspot.com

Et il a surgi de la forêt pluviale, l’animal totémique, l’ours brun, puissant et agile, calme et solide.  Il a marché tranquillement le long de la rive, d’un pas souple et élégant.

The Great Bear, Roy Henry Vickers


De la cabine du bateau, nous l’observions, fascinés par la beauté première de la scène. J’aurais aimé me rapprocher de la bête, passer mes doigts dans l’épaisse fourrure noire.


Great Pacific Rim, Ile de Vancouver, 2017 
©levaporettoblogue.blogspot.com
Et puis l’animal a disparu, laissant place aux fantasmes. On m’a dit que les ours voient peu mais que leur odorat est au contraire immense. L’air était pur et froid – nous ne sommes pas si loin du golfe d’Alaska et des peuples du Nord. Des troncs immenses flottaient sur les eaux. J’aperçus le sillon d’un canoé du monde d’avant, un chef se rendait au potlatch. Ou n’était-ce que le sillon de la nage sous-marine d’une baleine ?

Going to the Potlatch, Roy Henry Vickers

Dans une tasse de métal peint en blanc, j’ai préparé un thé noir. J’ai cassé un bout de la galette de Pu’erh ancien achetée dans une boutique du Chinatown de Vancouver, ville de forte présence asiatique. En émiettant la matière noire et brute, j’ai pensé au craquement des brindilles et des feuilles d’automne sous la patte de l’ours. En versant l’eau bouillante, j’ai revu la pluie s’abattre sur la terre et les eaux. J’ai attendu, dans le silence. La liqueur, aussi sombre qu’un sous-bois, avait un goût d’humus, de champignon, de moisissure. Quelque chose d’animal aussi.  J’étais un peu l’ours, le museau fouillant la terre humide. 

J’ai couru avec lui entre les arbustes et les conifères gigantesques, nous avons respiré l’iode et la forêt pluviale, cueilli les baies rouges dans la pureté cristalline de l’aube rose.
Peace dancers, Roy Henry Vickers

 Nota bene
Je découvre, à la faveur de ce voyage, l'art des descendants des premières nations, et notamment l'oeuvre du célèbre Roy Henry Vickers, dont le travail des couleurs et des symboles est une porte d'entrée somptueuse vers la spiritualité amérindienne.